Cuéntame un cuento...

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jueves, febrero 28

L'album photo de la mission Marchand

(Un article de Jean-Louis Tremblais au Figaro Magazine du 16e octobre 2010)

L'affaire de Fachoda et la mission Marchand sont un moment fort de notre histoire coloniale. Miraculeusement retrouvées, les 500 photos de cette mythique expédition sont publiées dans leur intégralité. Des documents extraordinaires.

Automne 1898, à Fachoda, un fortin perdu quel que part dans la vallée du haut Nil. Les Anglais du major-général Kitchener et les Français du capitaine Marchand sont face à face. Le rapport de forces est inégal : 25 000 hommes (dont 9 000 Britanniques) pour Albion ; 15 Européens et 150 tirailleurs bambaras (originaires de l'actuel Mali) pour la France. À Paris, la presse se déchaine, l'opinion se déchire. Cédera, cédera pas ? La rivalité franco-anglaise est à son apogée. On évoque une guerre possible entre les deux pays. Une tempête politico-médiatique qui éclipse jusqu'à l'affaire Dreyfus, c'est dire ! Finalement, sur injonction du gouvernement et après moult hésitations, le capitaine Marchand évacue la position. À son retour a Paris, quelques mois plus tard, il est néanmoins fêté en héros. Editeurs et journalistes se battent pour recueillir le témoignage des membres de l'expédition. Paradoxalement, dans l'imaginaire collectif, ce Trafalgar africain prendra valeur de mythe et suscitera bien des vocations coloniales.

Il est vrai que cette poignée d'officiers, emmenée par un chef de 33 ans, vient de réaliser un exploit, en un temps record et avec des moyens réduits. Partie en juillet 1896 des rives du Congo, la colonne a traversé l’Afrique d'ouest en est. Le but de la mission (appelée « Congo-Nil » ou « De l'Atlantique à la mer Rouge ») était de contrecarrer le projet anglais visant à relier Le Caire au Cap. Briser cet axe nord-sud au niveau du Nil afin d'obtenir des gages pour le jour du « partage effectif » (l'expression est de Marchand lui-même) entre les puissances coloniales. Deux années de périple et 6 000 kilomètres à franchir des fleuves, des rapides ou des marais, à se frayer un chemin à travers une forêt hostile (parfois, la progression est inférieure à 50 mètres par jour !), à marchander avec les roitelets et les potentats locaux, à réprimer les humeurs et les révoltes des peuplades rencontrées. Plusieurs fois, les hommes de Marchand furent donnés pour morts. Certains les disaient « avalés par les cannibales »...

On croyait tout savoir de cette épopée surhumaine. Erreur. Au hasard d'un déménagement, les héritiers du capitaine Baratier, l'adjoint de Marchand, ont exhumé un véritable trésor de leurs cartons : 500 clichés pris par leur aïeul qui retracent la vie quotidienne de la mission. Des documents d'une qualité artistique et d'un intérêt historique exceptionnels (même si certains étaient connus), qu'ils ont confiés a l'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD). Authentifiés, archivés et restaurés, ils sont aujourd'hui publiés dans leur intégralité. L'album qui en résulte est enrichi de manuscrits inédits provenant d'un autre fonds privé (celui des descendants du lieutenant Largeau). Il s'agit de notes, de lettres, de cartes signées de Marchand et de ses camarades. L'ensemble est présenté par l'historien Eric Deroo, éminent spécialiste de l'aventure coloniale.

Le travail du capitaine Baratier fut à la fois celui d'un reporter, d'un portraitiste, d'un explorateur et d'un ethnographe. Grâce à l'officier-photographe, on peut suivre les différentes phases de cette odyssée africaine et mieux comprendre les difficultés auxquelles la cohorte fut confrontée. Des scènes de genre, tour à tour surprenantes ou émouvantes, spectaculaires ou anachroniques. On y voit le montage-démontage du vapeur Faidherbe (le capitaine Marchand tenait absolument à l'emporter jusqu'au Nil afin d'impressionner les Anglais). La seule chaudière consiste en deux blocs - non démontables – pesant une tonne chacun. Qu'à cela ne tienne : entre deux cours d'eau, le Faidherbe sera porté à dos d'hommes, sur une piste tracée à la serpe et aux explosifs. Au total, 10 000 porteurs seront recrutés au gré des étapes, les pertes atteignant 40 % sur certains tronçons. Les officiers rémunèrent les porteurs (ainsi que les piroguiers et les pagayeurs) en cuillers remplies de perles de Venise, seule unité monétaire reconnue dans l'Oubangui.

Il faut aussi nourrir la troupe. On chasse l'éléphant, le crocodile et l'hippopotame. Les officiers se font immortaliser devant leurs trophées. Les autochtones ne répugnent pas à prendre la pose devant l’objectif. C'est notamment le cas des sultans zandés et des« bazingueurs », soldats plus ou moins organisés de leurs armées personnelles. Palabres et tractations : il faut les amadouer pour passer sur leurs territoires. La photographie les amuse autant qu'elle les flatte. C'est l'occasion d'exhiber costumes et tenues d'apparat, tandis que les Blancs ajustent leur tenue de marsouins ou de bigors (respectivement, infanterie et artillerie coloniale). Il y a aussi et surtout les tirailleurs bambaras, la cheville ouvrière de l'expédition. Loin de chez eux, ils sont quelque peu portés sur les rapines, et leurs méthodes peuvent s'avérer brutales. Pour les encadrer, des sous-officiers aguerris (quatre sergents et six caporaux) qui leur remontent le moral avec ce seul mot d'ordre : « En avant, y a bon pour les tirailleurs ! »

Et puis on découvre Fachoda, le fameux objet du litige franco-anglais. Cruelle déception. Dire que c'est pour cela que Londres et Paris ont failli déclencher un conflit ! Visualiser l'Histoire permet de relativiser... Une demi douzaine de baraquements abandonnés (ils avaient été occupés par les Egyptiens dix ans plus tôt), sur lesquels on hisse fièrement le drapeau tricolore. Un arbre unique (qu'un cliché montre noyé dans un nuage de criquets). Les tribus chillouk et dinka qui viennent assister aux prises d'armes des tirailleurs de Marchand et se faire examiner par le médecin EmiIy. Le « potager » où le très optimiste Landeroin, interprète militaire (arabe) de la mission Marchand, se livre à des expériences botaniques et maraîchères. Fachoda où, pendant que leurs chancelleries négocient, les guerriers se rencontrent, courtois mais inflexibles. En témoigne cette photo qui résume parfaitement l’impasse dans laquelle se retrouve Marchand et annonce l’épilogue de son aventure : le capitaine, amaigri et fatigué par les fièvres qui l'ont terrassé pendant le voyage, visiblement tendu, est assis au milieu de cinq officiers anglais fringants et souriants. Seul contre tous. Alea jacta est...